Entre fantasme et réalité, récit autobiographique chaotique et pamphlet radical, poésie contemplative et journal intime pornographique halluciné, Au bord du gouffre est un texte impressionnant. On y trouve mêlés des souvenirs d’enfance, des rêves racontés à l’état brut, des interviewes réalisées dans le cadre de recherches artistiques, des paysages qui défilent, des chroniques de la vie nocturne dans des lieux de dragues.
C’est une plongée dans le milieu des junkies et de l’underground artistique New-yorkais des années 80, où le Sida commence ses ravages. La mort est partout, et l’on ne comprend encore pas grand-chose à cette maladie. La recherche médicale tâtonne et les bas instincts se déchaînent contre la communauté homosexuelle, principale victime du fléau. Les décisions des dirigeants politiques sont lâches et parfois scandaleuses dans cette Amérique républicaine et évangéliste des années Reagan. Dans Au bord du gouffre, David Wojnarowicz lâche ses dernières forces contre cette Amérique là, intolérante, égoïste et morbide. Il est mort en 1992 à l’âge de 37 ans.
J’ai découvert ce livre en 2006 dans la traduction de Laurence Viallet et dès la première lecture est né pour moi le désir de travailler sur une forme scénique célébrant à la fois la poésie et le parcours hors du commun de David Wojnarowicz.
C’est une écriture unique, profondément ancrée dans le réel, sans artifices, sans volonté de séduire, mais au-delà de sa qualité littéraire, le texte témoigne de la matière brute avec laquelle l’artiste travaille. On a l’impression rare de plonger au cœur de ce qui fait son processus artistique: ses obsessions, son enfance, ce qui lui échappe, ses interrogations politiques, la question de la mort…